3 Mai 1999 - CULTURES


Aragon-Caubère : le sacre du 1er Mai

Ce fut un soir de 1er mai délicat. Tout en correspondances. Mots d’Aragon partagés entre " Amis " à la fin du jour, à la Cinémathèque française de Chaillot, comme à la fin d’un autre jour de juillet 1998. Philippe Caubère les lança, les balança – “ Paysan ” pionnier du rock’n roll ? – sur une île en bord de Méditerranée, énième représentation de ce Poème à crier dans les ruines, spectacle, ainsi qu’on pourrait rebaptiser la geste entamée un soir de Fête de l’Humanité, saisie ici par la caméra de Bernard Dartigues dans un décor et une lumière proches de celles de Pierrot le Fou (1). Aragon - L’an 2000 n’aura pas lieu, film en fait “ vidéo ” en quête d’autres rencontres – est pourtant bien plus qu’un spectacle mis en images, plutôt une vague d’images et de sons mis en spectacle : choc des mots d’Aragon, du dire et de la gestuelle de Caubère, parfois “ recouverts ” par le bruit et la fureur du siècle, sous le regard d’une Marianne de vingt ans au serre-tête bleu.
L’entreprise a l’insolence baroque des “ matières premières ” qu’elle mixe et remodèle à sa guise : photos de Man Ray, images du chemin des Dames, tableau de Chirico, “ montres molles ” de Dali, trains de la mort nazis, voix de Pétain, Laval and Co en contrepoint d’horreur de la splendide scansion des Marie de France aux cent visages. Elle a aussi la vertu de souligner légèrement – comme on le dit d’un maquillage – les modulations infinies de la voix de Caubère toréant l’infini sans défense de la parole aragonienne. Modeste, Bernard Dartigues explique avoir voulu seulement " créer un rapport d’intimité entre un spectateur et un poste de télévision ", tout en rêvant à haute voix de plus vastes écrans, impressionné qu’il est que son film soit diffusé dans le “ temple ” fondé par Henri Langlois.
Cette “ histoire à rebondissements ”, dont Charles Silvestre et d’autres se plaisent à imaginer qu’elle sera sans fin, n’en finit pas en effet de rebondir : temps de guerre, de chocs, de chaos, de souffrances, de rage… Philippe Caubère, en forme d’incipit à la projection, avait souhaité la double présence de Robert Hue et de Lise London. Vœu exaucé. Mots hachés pour l’une et pour l’autre, que l’on lira ci-dessous. Lassitude de ce “ monde ancien ” par quoi s’ouvre le Zone d’Apollinaire, 1913, l’avent de ce siècle “ cou coupé ”. “ Souvenance ” de Lise London lisant cette page du Printemps des camarades, ou comment, de la prison de Rennes, en 1943, lui parvint un poème de François la colère : " Auschwitz Auschwitz ô syllabes sanglantes / Ici l’on vit ici l’on meurt à petit feu / On appelle cela l’exécution lente / Une part de nos cœurs y périt peu à peu… " On allait oublier : la salle de Chaillot était comble, le champagne servi par la section communiste de La Courneuve et les Amis de l’Humanité, simplement heureux d’être là…

Jean-Paul Monferran

(1) Aragon - L’an 2000 n’aura pas lieu, film de Bernard Dartigues, d’après le spectacle de Philippe Caubère.



Aragon-Caubère : " Des mots pour Robert Hue "

J’ai souhaité que Robert Hue soit là ce soir : d’abord parce qu’il était présent à la première de ce spectacle, ensuite parce que je ne fais pas mystère du fait que je soutiens de tout mon cœur, ardemment, son combat – je dirais même son œuvre –, indispensable à la métamorphose du Parti communiste, indispensable aussi pour l’avenir de la démocratie française. Pourtant, il y a quinze jours, la situation internationale devenant ce qu’on sait (1), j’ai à nouveau appelé Charles Silvestre, très énervé, très affolé, pour lui dire que je n’étais pas sûr d’être du même point de vue que son parti, et que je ne voulais pas que cette soirée soit comme un symbole d’adhésion absolue à ce que vous pensez, etc. Il m’a engueulé, il m’a aussi en partie rassuré. Mais je ne pouvais pas ne pas vous dire mon sentiment : alors, j’ai eu cette idée de dédier cette projection à Lise London, et à travers toi, Lise, à tous les camarades qui sont présents dans ce spectacle, communistes ou non, qui sont présents mais qui sont morts, soit dans la Résistance, soit dans les maquis, soit dans les camps, soit dans les prisons. Morts parce qu’ils combattaient, parce qu’ils se battaient, en espérant de toutes leurs forces que les armées de la Russie et de l’Amérique interviennent pour chasser le fascisme hors d’Europe. Ce n’est pas une position, c’est un sentiment que je ne pouvais pas ne pas exprimer "…

Philippe Caubère.

(1) intervention militaire de l’OTAN au Kosovo.