7À PARIS
le 16 octobre 1988
CO-CAUBERE
Dans son nouveau one-man-show, Philippe Caubère
sappelle Ferdinand, comme Céline. Mais celle quil aime sappelle
Clémence, comme la femme quil a connue, aimée et épousée
au théâtre du Soleil.
Faites un jeu amusant. Prenez la question " Quest-ce que tu as vu
de vraiment bien au théâtre depuis la rentrée ? " Posez-la
autour de vous. Laissez réchauffer les réponses, recueillez-les
avant lébullition. Comptez les réponses " Caubère
". Ne sont-elles pas écrasantes de majorité voire
dunanimité ?
Vous avez remarqué quon dit " Caubère " et pas
le titre du spectacle, Les Enfants du soleil
(le dernier en date) ou Ariane ou lAge dor
(quil reprend en alternance et en deux parties les jeudis et vendredis).
Cest quavec lui, ce nest pas tant un spectacle quon
va voir une histoire conventionnelle avec un temps, un lieu, une action,
des étiquettes quun homme qui raconte son adolescence (cétait
La Danse du Diable), son apprentissage de
comédien (cest Ariane), lamour
de sa vie ou ses crises de jalousie (ce sera, lan prochain, Le
Triomphe de la jalousie), sans que le feuilleton soit divisé en
chapitres. Il y avait déjà du comédien dans ladolescent,
il y aura de ladolescent dans le jaloux, il y a de lamoureux partout.
" Cest Ariane Mnouchkine qui me la appris, dit-il : le théâtre,
cest un acteur tout seul sur la scène. " Philippe Caubère
ne reste pas longtemps seul sur la scène des Arts-Hébertot. Au
début, Ferdinand, son double, se pointe à la Cartoucherie. "
Madame Ariane " lui tend un balai : " Oui, oui, quand on arrive ici,
on balaie ! " Et Ferdinand balaie, puis jongle avec les balais, et balayeurs
et balais se dédoublent et se multiplient comme dans " lapprenti-sorcier
" du film Fantasia. Philippe Caubère ne se contente pas de figurer
une douzaine de personnages, familiers du théâtre du Soleil. Quand
Ferdinand attend avec angoisse un coup de téléphone, il mime le
téléphone silencieux. Des types qui savent imiter à la
perfection une sonnerie de téléphone ça court les scènes.
Mais pour imiter le silence dun téléphone, il ny en
a quun. Mais apprenons plutôt ce quil a fait pour en arriver
là.
Ariane ma sur, de quel amour blessé....
En 68 rôdait dans Aix-en-Provence un redoutable limier nommé Eric
Eychenne : " Cest lui qui a fondé ma première troupe,
le TEX (Théâtre expérimental dAix) raconte Philippe
Caubère. Il draguait en tout bien tout honneur tout ce
qui traînait dans les cours et les bars. Il a découvert Serge Valetti,
Monique Brun. Max, il la trouvé sur le cours Mirabeau, Jean-Claude
dans une pizzeria et moi au cours Molière. On a formé un sous-groupe
tous les trois. On faisait nos pièces nous-mêmes, des montages
surréalistes, politisés parce quon avait des copains à
la L.C.R. (Ligue communiste révolu-tionnaire). Un beau jour, on est montés
à Paris pour jouer devant le théâtre du Soleil une histoire
de la Commune de Paris très trotskiste, inspirée par 1789.
Ariane nous a proposé de nous prendre avec elle. Il y avait des metteurs
en scène dont jadmirais le travail, Patrice Chéreau, Antoine
Bourseiller, mais je sentais que je ne pourrais jamais mintégrer
à une équipe normale, être un acteur normal. Je me sentais
apatride. Quand jai vu Ariane, je me suis dit : elle est comme moi. "
Je hais les metteurs en scène !
Parce quil a fait dAriane Mnouchkine un personnage-clé de
ses improvisations contrôlées, Philippe Caubère sest,
de-ci, de-là, trouvé affligé dune réputation
de fils ingrat. Est-ce parce quelle écoute les mauvaises langues
quAriane ne vient pas le voir ? Elle doit pourtant bien savoir que pour
elle, les spectacles de Caubère ne sont pas blessants comme des insultes
mais gênants comme des déclarations damour faites à
la cantonade. Pour avoir mis avec une telle évidence dans la bouche dAriane
une phrase comme " Jaurais dû vivre au Quattrocent
", Caubère doit la comprendre mieux que nimporte quel tiers
ne pourra jamais le deviner. Elle est la seule qui trouve grâce à
ses yeux quand il entame une diatribe au déshonneur des metteurs en scène
: " Ils sont dune jalousie féroce, ils phagocytent le système
entier et ce nest pas normal. Ce sont tous des auteurs ratés Ceux
qui sont au pouvoir étaient tous des maos, il y a vingt ans, des terroristes,
des chacals qui se permettaient dinsulter Vilar et ils ont fait des carrières
de fonctionnaires Mais comme on dit " lindustrie, cest pas
les patrons, cest les ouvriers ", de même, on peut dire que
le théâtre, cest pas les metteurs en scène, cest
les comédiens. Quand on me demande ce que mont apporté les
Molières (du meilleur spectacle théâtre privé et
de la révélation de lannée 87 pour
Ariane ou lAge dor), je réponds : lidée
que les comédiens forment une grande famille qui va de Micheline Dax
aux jeunes de chez Vitez. Eux ne se tirent pas dans les pattes. "
Tiens, les jeunes comédiens, parlons-en, quest-ce quil fait
pour eux, Caubère ? " On ma proposé denseigner.
Mais jenseigne plus en leur montrant ce que je fais quen parlant
derrière un bureau. Ce que je peux faire pour les jeunes, cest
des réductions ! "
Sophie Cherer
o Les enfants du soleil et Ariane
ou lAge dor. Rens. : 43.87.24.24.
ET COCO-GIRL
Trapéziste à Médrano, jongleuse dans la rue, figurante
au théâtre du Soleil : après avoir beaucoup bourlingué,
Clémence Massart sera la mère de dArtagnan.
Est-ce bien elle la petite jongleuse, celle qui en fait tant baver à
ce pauvre Ferdinand ? A la ville, linspiratrice des Enfants
du Soleil na rien visiblement de la séductrice ravageuse
dont le cur balance entre deux amours.
Née dans le Sud-Ouest, aînée de huit enfants, elle a été
élevée dans le monde des arts et de la danse : " Je suis
la nièce de Jean Babilée. Une hérédité lourde
à porter. Jai choisi de faire du théâtre parce que
forcément je ne pouvais pas prétendre être danseuse ! ".
Elle prend des cours chez Cochet, senfuit au bout dun mois et découvre
le monde du cirque. Eblouie, elle passe toutes ses soirées à Médrano
et de fil en aiguille monte un numéro de trapèze. Elle croise
sur son chemin un jongleur et part avec lui en caravane vivre la dure vie des
saltimbanques. " Un jour, il ma larguée et je me suis retrouvée
seule à faire la jongleuse sur le pavé de Saint-Germain-des-Prés.
" Errante dans le Paris de lannée 68, elle rencontre un ami
qui monte LHistoire du soldat et linvite
a venir faire la parade dans son spectacle : " Cétait à
la Cartoucherie. Et quest-ce que je vois à côté à
laffiche :1789 ! Je my glisse
un soir et jai le coup au cur. Javais trouvé là
ma vraie famille. " Elle entre bientôt au théâtre du
Soleil comme figurante : " Cest sur LAge
dor que jai tout appris. Dès que jai mis un
masque sur le visage, ça a été formidable. Improviser devant
Ariane, cétait un rêve parce quon navait quune
envie, cétait de la faire rire. Cest elle qui ma appris
que le théâtre, ce nest pas se montrer sur une scène,
quil y a une démarche merveilleuse à faire sur le public
et je crois que Philippe prolonge ce travail. " Philippe, elle le rencontre
pendant le tournage de 1789 et la préparation
de LAge
dor : " Cest une histoire damour liée au
théâtre. On sest mariés au Soleil. On a fait une espèce
de mariage qui correspond aussi à lesprit très utopique
de cette époque dans son projet artistique et humain. "
Après, Clémence se chargera de le rendre jaloux et cest
ce que Philippe racontera dans son prochain épisode :
Le Triomphe de la jalousie. " Mais je ne lai pas fait exprès
Ce sont les événements. Cest cruel dêtre deux
acteurs qui font le même métier et qui vivent ensemble. On ne parle
pas des rivalités entre artistes, mais ça existe et notamment
au sein dune troupe quand lun des deux est plus favorisé
que lautre. "
Si elle a souffert parfois dune certaine injustice pendant ses années
passées au Soleil, elle a tenu bon et quand elle est partie avec Philippe,
elle na pas dévié de sa voie. Elle est entrée dans
une autre troupe, celle du Magic Circus...
Après avoir joué Les Mélodies
du malheur, après avoir été Madame Jourdain dans
Le Bourgeois gentilhomme, elle sera à partir du 25 novembre la mère
de dArtagnan sur la scène de Chaillot dans DArtagnan
monté par Savary " Cest un petit rôle qui mamuse
beaucoup. Elle était du Sud-Ouest, alors je vais reprendre laccent
de chez moi. "
Marie-Julie Lespinasse
o DArtagnan mise en scène Jérôme
Savary. Du 25 novembre au 31 décembre au théâtre national
de Chaillot.